PLANIFICATION FINANCIERE La gestion de fortune se réclame toujours d’une approche globale. Mais elle sera différente selon les cultures et les types de structures.

Lorsque l’on interroge les établissements bancaires sur les prestations réservées aux comptes dépassant un million de francs, ils affichent une réponse standard, mêlée d’attention accordée aux besoins des clients à la recherche d’une solution adaptée à leur profil. En allant un peu plus loin, on constate que les services offerts, en termes de planification financière, autrement dit de gestion patrimoniale globale, diffèrent énormément d’une banque à l’autre.

Si toutes les sociétés interrogées affirment s’appliquer à conseiller leur clientèle en matière fiscale et successorale, le client domicilié en Suisse ne trouvera sans doute pas de prise en charge complète pour sa gestion patrimoniale globale. Y compris sa composante prévoyance. À l’exception de certaines banques, notamment universelles, comme UBS, Credit Suisse, BNP Paribas ou encore la Banque Cantonale Vaudoise (BCV). UBS, Credit Suisse et BNP Paribas disposent en outre d’un réseau international pour toutes les activités transfrontalières de leurs clients.

De son côté, Pictet & Cie affirme pouvoir répondre également aux besoins de ses clients domiciliés en Suisse en matière de gestion patrimoniale globale. En revanche, l’Union Bancaire Privée reconnaît que, en Suisse, la prévoyance n’est pas sa première préoccupation, étant donné que sa clientèle privée est principalement offshore.

Quant aux banques étrangères, qui visent essentiellement la clientèle domiciliée à l’étranger, elles semblent concentrer leurs efforts sur les questions d’optimisation fiscale et de questions successorales. Sans faire de la prévoyance en Suisse la priorité de leur offre, comme l’indiquent BNP Paribas ou encore HSBC.

UBS : approche globale

Guy Monnier, directeur, responsable pour le wealth management d’UBS Lausanne et deputy pour la région Suisse romande (à l’exception de Genève), explique : « L’approche du client se veut globale. Si elle implique la dimension de gestion de portefeuille, celle-ci n’en constitue cependant qu’une petite partie. Nous avons abandonné la notion de private banking, trop associée à la gestion de portefeuille, pour le wealth management. »

Un concept qui exprime mieux le fait de répondre aux besoins et aux objectifs du client en tenant compte de sa situation patrimoniale globale : allocation des actifs et des passifs, investissements mobiliers et immobiliers, financements, prévoyance, etc. « Cette démarche intégrera toujours les aspects fiscaux et successoraux. » L’approche d’UBS repose sur une démarche structurée en faveur de la clientèle, sous la forme d’un conseil « Client Experience » en quatre étapes. Ce déroulé, adopté par les conseillers, s’apparente à celui d’un médecin financier : comprendre (anamnèse) ; proposer (diagnostic) ; décider et réaliser (traitement) ; actualiser (check- up).

Pour mieux répondre aux besoins de plus en plus complexes et spécifiques de la clientèle, les conseillers financiers se spécialisent. « Pour la clientèle domiciliée en Suisse, nous trouvons des conseillers pour les executives, les entrepreneurs, les avocats, les médecins, etc. Ils agissent comme porte d’entrée ou interface entre le client et les différents secteurs du groupe UBS. »

Ils peuvent s’appuyer autant sur leurs collègues spécialistes (wealth planning, investment banking, M & A, financement, art banking, etc.) et sur des partenaires externes (architecture ouverte), que sur des prestations innovantes (investment solutions, portfolio management, active portfolio advisory, produits structurés, private equity, placements alternatifs, commodities, hypothèques, lombard, financement immobilier, etc.).

Credit Suisse : conseil intégral

C’est sans surprise que l’on constate une grande similitude dans l’approche de l’autre grande banque universelle. Dominique Fasel, responsable des centres de compétences private banking pour la région romande au Credit Suisse détaille : « La priorité est mise sur le développement d’un processus de conseil susceptible de répondre intégralement aux besoins de la clientèle privée. Le premier rôle du chargé de relation, respectivement du planificateur financier, consiste à rechercher les besoins de son interlocuteur. »

À l’instar du médecin qui rencontre un patient pour la première fois, poursuit Dominique Fasel, cette recherche procède d’une anamnèse de sa situation financière et patrimoniale, présente et passée.

Credit Suisse a été le premier à développer une procédure de conseil envisageant la situation de ses clients privés à l’image de celle d’une entreprise : cette approche bilancielle dynamique du patrimoine amène les conseillers à se préoccuper tant des actifs (patrimoine mobilier, immobilier, revenus, etc.), que des passifs (dettes) de leurs interlocuteurs, en y intégrant l’identification de leurs souhaits et objectifs futurs.

Les solutions qui en ressortiront seront spécifiques et focalisées, comme d’assurer une prévoyance personnelle, de pourvoir aux études de leurs enfants ou d’acquérir un logement principal ou une résidence secondaire. La portion du patrimoine liée à ces besoins futurs ne sera pas gérée comme sa partie libre, par l’usage, en particulier, de produits à capital garanti. Les paramètres fiscaux et successoraux des opérations feront, bien entendu, partie intégrante dudit processus, tant il est vrai qu’ils sont omniprésents lors de chaque décision de placement.

Ce dialogue prend la forme d’un cycle segmenté en cinq étapes. Les deux premières consistent en une analyse des besoins et l’élaboration d’un concept financier. Suit la phase de définition du profil de l’investisseur, intégrant tant des aspects psychologiques tolérance au risque que de la capacité financière à assumer les risques induits par toute décision de placement en fonction notamment de l’horizon temps des échéances.

Dans les deux dernières étapes du processus, une stratégie d’investissement spécifique est mise en place, déterminée sur la base dynamique des constatations effectuées. Enfin, les mesures retenues sont implémentées. Dans ce cadre, la palette des services de la banque intégrée sera offerte à nos clients en fonction de leurs besoins. Un réajustement périodique des situations individuelles sera enfin assuré, en principe sur une base annuelle. Cette procédure, quasi universelle, s’applique à l’ensemble de la clientèle de gestion privée dont le domicile fiscal est en Suisse.

BCV : profilage exhaustif

À la Banque Cantonale Vaudoise (BCV), toute planification financière débute par un entretien approfondi avec le client, explique Fabrice Welsch, responsable du département Prévoyance et Conseils financiers. L’ensemble du patrimoine est pris en compte afin d’effectuer une analyse « pertinente ». L’ensemble des aspects suivants sont intégrés : la fortune mobilière globale (et pas uniquement celle détenue au sein de notre établissement) ; le patrimoine immobilier (que ce soit en Suisse ou à l’étranger) ; la situation de prévoyance (prévoyance privée et prévoyance professionnelle) ; le budget de fonctionnement ; les dépenses et apports extraordinaires ; enfin le régime matrimonial et fiscal. Par ailleurs, des critères plus qualitatifs sont définis avec le client : ses souhaits successoraux, son profil d’investisseur et ses objectifs de vie dans les années à venir.

Outre les aspects d’optimisation du patrimoine et de la fiscalité en fonction des projets du client, la BCV prend en compte des notions de longévité et de variabilité des marchés. La banque s’appuie notamment sur l’expertise d’une équipe d’actuaires qui a modélisé la probabilité de voir son patrimoine consommé avant son décès et a mis au point une planification tenant compte d’aspects d’ALM (Asset Liabilities Management).

Le. processus de prise en charge est assez simple : entretien tripartite entre le client, le gestionnaire de fortune et un spécialiste en planification financière ; analyse des buts et objectifs ; regroupement des documents et informations nécessaires (déclaration d’impôts, relevé de portefeuille titres, certificat de prévoyance, règlement de la caisse de pensions, polices d’assurance, etc.) ; analyse et planification proprement dite, discussion des résultats, toujours tripartite ; suivi régulier (tous les 3 à 5 ans s’il n’y a pas de souhait spécifique du client) afin d’adapter les stratégies proposées au but recherché.

La planification est établie en fonction du cycle de vie du client (analyse de prévoyance, constitution de patrimoine, analyse de retraite, planification successorale). Elle concerne autant la gestion de fortune que les conseils en prévoyance, fiscaux et successoraux, voire les aspects de transmissions d’entreprises.

Pictet & Cie : coordination totale

Chez Pictet, explique Philippe Liniger, responsable fiscaliste, les besoins des clients sont définis sur la base d’une discussion approfondie. Plus précisément, l’ensemble de la situation du client est examiné, notamment sous l’angle de l’optimisation fiscale, en matière de prévoyance, d’immobilier, d’outils de détention ou encore de planification successorale. Enfin, un bilan patrimonial est établi, afin de déterminer le profil de risque optimal en termes d’allocation d’actifs.

Le client est ensuite reçu par un gérant qui fait appel aux compétences des spécialistes en fonction des points abordés et traités. Ces derniers sont amenés à travailler de concert.

La palette de services offerte comprend notamment le conseil fiscal et juridique lié aux différents types d’investissements, la planification en matière successorale (mise en place de structures adéquates), l’accompagnement lors de la cession d’une entreprise, l’établissement de reporting fiscaux pour la clientèle étrangère, la récupération d’impôts, l’établissement de déclarations d’impôt par la fiduciaire du groupe.

Il est important de relever, selon Philippe Liniger, que même si la majorité de la clientèle est étrangère, l’établissement fournit aussi des prestations pour des clients domiciliés en Suisse, dans le cadre d’une acquisition immobilière ou en matière de prévoyance pour les indépendants. Si Pictet & Cie ne vend évidemment pas d’assurances, en revanche la banque collabore avec différentes compagnies pour proposer si nécessaire un tel produit. De même qu’il est fait appel à des partenaires lorsque des clients ont, par exemple, besoin d’une hypothèque.

Étant donné que la banque travaille exclusivement avec des sociétés qu’elle déclare bien connaître, le client aura affaire avec un interlocuteur unique, qui aura non seulement analysé ses besoins, mais aussi assuré la coordination avec les prestataires externes et la synthèse de leur travail.

UBP : optimisation fiscale

Nicolas von Wartburg, membre de la direction de l’Union Bancaire Privée (UBP) et responsable planification patrimoniale, tient à préciser : « Il faut distinguer les grandes banques universelles comme UBS ou Credit Suisse, qui ont les moyens de présenter à la clientèle une prestation de services globale, d’une banque privée comme la nôtre. »

À l’UBP, on propose ainsi des services de planification patrimoniale destinés à la clientèle privée disposant d’un patrimoine défiscalisé conséquent, avec un portefeuille déposé auprès de l’établissement d’au moins un million de dollars. « Notre approche se fait par un examen approfondi de chaque situation personnelle afin d’être à même de fournir un conseil et des solutions sur mesure. »

L’objectif principal de la planification patrimoniale étant l’optimisation de la détention du patrimoine – principalement offshore – de cette clientèle, afin d’assurer au mieux sa protection et d’en alléger, le cas échéant, la charge fiscale. Dans une perspective de planification successorale, l’établissement déclare être également à même de créer et administrer des structures juridiques, telles que Trusts ou Fondations de famille. « Par ce principe, notre établissement s’assure une relation pérenne avec les héritiers de la clientèle existante. »

Fondamentalement, la banque est avant tout reconnue pour ses compétences et son expertise pointue dans les produits alternatifs. « Notre clientèle s’intéresse avant tout à notre établissement pour notre savoir-faire dans le domaine de la gestion de fortune. Notre conseil en planification patrimoniale étant un service additionnel octroyé à notre clientèle privée dans le contexte d’une relation globale que se doit d’entretenir un établissement de renom avec sa clientèle. »

BNP Paribas : planification internationale

Du côté des banques étrangères, comme BNP Paribas Private Banking, dont la clientèle est essentiellement domiciliée à l’étranger, la problématique de la prévoyance pour des clients domicil iés en Suisse telle que conçue par UBS ou Credit Suisse ne représente pas une part aussi prépondérante de leur activité. Marco Salmina, responsable de l’ingénierie patrimoniale internationale auprès de la banque à Genève, insiste : « Nous mettons l’accent sur une planification financière dans une perspective internationale, pour une clientèle très fortunée. »

Au sein de l’établissement, le client a un interlocuteur privilégié : son gestionnaire. Il lui appartient d’initier et d’animer le processus de prise en charge du client. Ce processus se décompose en cinq phases : prise de contact (mise en confiance et écoute du client, qui est amené à parler à son gestionnaire de sa situation familiale, professionnelle et financière) ; analyse (mise en exergue des besoins, souhaits, objectifs financiers et non financiers du client) ; proposition (le gestionnaire s’appuie sur l’ensemble des spécialistes de l’offre financière et patrimoniale du réseau, à l’échelle mondiale) ; implémentation (mise en oeuvre des solutions ayant obtenu l’adhésion du client) ; suivi (contrôle, sur le long terme, des mesures mises en place et, le cas échéant, adaptation de celles-ci à la nouvelle situation).

Dans ce cadre, le service d’ingénierie patrimoniale internationale intervient à deux niveaux distincts. Marco Salmina ajoute : « Tout d’abord en amont, par le biais de formations et workshops organisés auprès des gestionnaires, pour les familiariser avec les problématiques juridiques et fiscales à une échelle internationale et mettre à jour régulièrement leurs connaissances. Ensuite, à différentes étapes du processus, par le biais d’un conseil juridique et fiscal indépendant et neutre. »

Qu’il s’agisse de proposer des options d’optimisation au client, d’en assurer l’implémentation ou encore le suivi, l’ingénierie patrimoniale internationale intervient donc sur sollicitation du gestionnaire. Soit pour optimiser la structuration du patrimoine dans le cadre d’une opération ponctuelle (réalisation d’investissements immobiliers, cession d’entreprise, acquisition d’un yacht, délocalisation d’actifs ou de personnes physiques, etc.) ; soit dans le cadre, plus large, d’une planification fiscale et/ou successorale.

HSBC : ingénierie patrimoniale

La perspective de HSBC Private Bank se rapproche de celle de BNP Paribas Private Banking, en étant complètement orientée depuis la Suisse sur la clientèle offshore ou très fortunée. Loris Segol et Thierry Bounous, responsables de marchés au sein du service de planification patrimoniale, font référence aux clients High Net Worth (HNW), « qui sont confrontés à des problèmes non plus seulement nationaux ou transnationaux, mais impliquant également un nombre croissant de juridictions, ce qui les rend souvent d’une extrême complexité ».

Les interlocuteurs poursuivent : « Le département Global Wealth Solutions d’HSBC Private Bank est composé de conseillers en ingénierie patrimoniale dont l’activité principale est de donner des conseils en matière de structuration de patrimoine à la clientèle HNW de la banque. Dans cette optique, les conseillers doivent pouvoir disposer d’une vision d’ensemble de la fortune du client, que cela soit dans son pays d’origine ou à l’international. »

Suite à une analyse patrimoniale des besoins du client, les solutions proposées seront alors respectueuses de la législation du pays de résidence du client, conformément à la décision stratégique d’HSBC d’avoir une clientèle onshore. Ces solutions varient énormément en fonction des zones géographiques desservies.

À noter que la Suisse fait exception, dans la mesure où la très grande majorité de la clientèle est étrangère et où le groupe n’a pas développé de réseau bancaire de détail . La banque ne va donc pas proposer de solutions de prévoyance à un client domicilié en Suisse, de type assurance vie, par exemple.

Typiquement, des solutions de type trust dans des juridictions qui ne figurent pas sur des listes noires sont proposées à une clientèle d’Amérique latine, alors que la tendance est aux solutions de bancassurance pour les juridictions européennes.

De même, il existe, disent-ils, un véritable savoir-faire au sein d’HSBC en matière de délocalisation des personnes physiques dans des pays à fiscalité favorable. Ainsi qu’en matière de détention immobilière par des structures internationales fiscalement optimales. « Pour les clients ultra-HNW, nous avons également développé une expertise s’agissant de fonds privés ou de private trust companies. »

Fortune et prévoyance

On imagine souvent que, à partir de 2 ou 3 millions de francs, la question de la prévoyance ne se pose plus. Grave erreur, selon Fabrice Welsch, de la BCV. « Il faut tenir compte à la fois de l’allongement de l’espérance de vie et de l’âge auquel on va toucher un héritage. » Ceux qui pensent hériter à 40 ans et mourir à 80 ans sont nombreux. Or ils risquent plutôt d’hériter à plus de 60 ans et de vivre jusqu’à 90. Cela implique de considérer les tables de mortalité, d’une part et, d’autre part, la probabilité d’épuisement de son capital selon les placements choisis, de la variance et de l’espérance de rendement du marché. Une réf lexion en termes de prévoyance s’avère donc pertinente jusqu’à une fortune de 5 millions de francs.

« D’ailleurs, explique Philippe Liniger, de Pictet & Cie, même pour ceux qui disposent d’une fortune très importante, le volet prévoyance est pris en considération. Il recèle d’importants avantages fiscaux qui se sont néanmoins amenuisés depuis le 1er janvier 2006. »

Assureur ou le banquier ?

Étant donné l’importance de la prévoyance pour un client domicilié en Suisse, et disposant de 1 à 2 millions de francs, on peut se poser la question s’il n’a pas avantage à passer par un assureur. La planification financière n’est-elle pas au coeur de cette branche ?

Guy Monnier, d’UBS, reconnaît aux compagnies d’assurances la capacité d’établir une planification financière. Il estime toutefois que ces sociétés sont, en tant que telles, limitées en termes de la réalisation, en particulier au niveau de la gestion de portefeuille. Ou encore dans d’autres domaines qui sont étrangers au métier de l’assurance, comme les crédits commerciaux par exemple.

« Si notre planification financière, établie par nos wealth planners, implique le besoin d’assurances, nous faisons alors appel à des partenaires privilégiés. »

Le responsable du département Prévoyance et conseils financiers de la BCV, Fabrice Welsch, va dans le même sens – le contraire aurait étonné – en affirmant qu’une compagnie d’assurances pourrait réaliser une planification financière pour un client. Il n’en va pas de même pour la gestion des fonds.

« Nous avons l’avantage de pouvoir appréhender les deux domaines sans aucun problème. Nous avons développé une approche patrimoniale en regroupant les activités de conseils financiers et de prévoyance dans un seul département. »

Quant aux produits d’assurances, précise encore le responsable de la BCV, des accords ont été passés avec certaines compagnies.