La cinglante défaite de l’initiative sur le salaire minimum a permis aux vainqueurs de parader sur l’attachement des Suisses au modèle libéral qui a si bien réussi à notre pays. Et ce sont paradoxalement les milieux patronaux qui se faisaient les chantres de la concertation sociale et des conventions collectives, mieux à même de régler les questions salariales branche par branche qu’un salaire minimal légal. L’un de leurs arguments massue était le risque de mettre en péril l’emploi dans des secteurs à faibles marges, comme l’agriculture ou la restauration par exemple, qui n’auraient pu supporter un salaire minimum de 4’000 francs. C’est sans doute un raisonnement qui tient la route. Mais il condamne implicitement les «working poors» employés dans ces secteurs à le rester, puisque, conventions collectives ou pas, les employeurs n’auraient de toute façon pas les moyens d’augmenter leur salaire.

Ce n’est toutefois pas forcément une fatalité, comme l’écrit Cédric Tille, professeur d’économie à l’Institut de hautes études internationales et du développement, à Genève, dans un article publié dans Le Temps du 13 mai : «Si les conventions par branche sont utiles, elles ne peuvent compenser les inégalités entre branches.» Cette tâche est du ressort de l’État et s’effectue déjà par les prestations de l’aide sociale dont bénéficient de nombreux salariés aux bas revenus. Mais ce soutien est «lourd à administrer, et plutôt difficile à vivre pour bien des bénéficiaires.»

Le professeur Tille propose ainsi une solution originale, sous la forme d’un impôt négatif sur les bas salaires, dans le cadre de l’impôt fédéral direct: «Le coût des suppléments versés aux bas revenus serait couvert par une hausse des taux d’impôt sur les plus hauts revenus. Cette approche existe par exemple aux Etats-Unis et s’est avérée efficace contre la pauvreté.»

Le risque, c’est que les entreprises profitent d’un tel système pour baisser les salaires, puisque l’État verserait la différence. C’est pourquoi l’économiste préconise «de combiner le changement fiscal avec des conventions collectives de travail obligatoires ou un salaire minimum à un niveau plus faible que 4’000 francs, qui agiraient comme un garde-fou.» Ingénieux, non?